livre bemidbar

paracha: beha'alotekha

   
   

Parachat Beha’alotekha
Rav Yehouda Léon Askénazi



Parachat Beha’alotekha * Rav Yehouda Léon Askénazi * Textes inédits, non datés, communiqués par la Fondation Manitou.
Le fil conducteur des récits que nous lirons dans la paracha de cette semaine doit être trouvé au premier verset du chapitre 9 du Livre des Nombres où il est précisé que les événements dont il nous sera parlé commencent au premier mois de la seconde année après la sortie d’Égypte. La première année s’achève par la construction du Tabernacle et son inauguration. Et dès le premier mois de la première année, se préparent les raisons du retard de quarante ans qui séparent la sortie d’Égypte de l’entrée au pays de Canaan. Dans notre paracha, la Thora nous décrit en effet les premières péripéties de la tension paradoxale, qui va parfois jusqu’au conflit aigu, entre Moïse et son peuple. C’est déjà là que se préparera la succession de Moïse par Josué et la sanction qui frappera la génération du désert. La Thora nous explique ce fait de la manière suivante : Au Sinaï, ce peuple a été appelé aux plus hauts sommets de l’idéal moral. Or, cette ligne qui culmine au Sinaï des Dix commandements est la ligne d’une ascension. Et ce peuple avait entrepris cette marche de l’ascension vers l’au-delà des valeurs, sous la conduite de Moïse. Mais voici qu’il faut redescendre, il faut réussir la descente du Sinaï, vivre, au niveau des nécessités matérielles de l’histoire sur la terre, les évidences découvertes et reçues d’une révélation qui vient du ciel. Et c’est cette descente que ce peuple, semble-t-il, est malhabile à réussir. Comme s’il avait été capable de surmonter le vertige de l’ascension vers le haut, mais se trouvait mal préparé à empêcher que la redescente ne se transforme en chute. Cette situation de désarroi dans la confrontation avec les nécessités de l’existence que décrit notre paracha pour le temps de la fin d’exil d’Égypte, le Rav Kook, qui fut le premier grand rabbin de l’État d’Israël, l’avait prophétisée de son temps pour notre temps. Le texte que je citerai se trouve au paragraphe 44 du chapitre Orot Haté’hiya, « Les lumières de la résurrection », dans son célèbre livre Orot : Nous savons qu’une révolte contre l’esprit aura lieu en Erets Israël... C’est au début de la restauration de la nation qu’elle apparaîtra. Une partie de la population jouissant d’une aisance matérielle se croira arrivée au but ultime, ce qui amoindrira son âme. « Alors viendront des jours dont tu diras ne pas en avoir le désir. » (L’Ecclésiaste XII, 2) L’exigence d’un idéal supérieur de sainteté disparaîtra et par là-même l’esprit déclinera et sombrera jusqu’à ce qu’advienne une tempête qui mènera à une révolution. Il est clair que l’analogie des situations est frappante. Et c’est précisément d’un diagnostic lucide de la situation que viennent les raisons de l’espérance et de la certitude. La marche au désert est une marche difficile. Elle peut être comparée, comme l’a fait le prophète Isaïe, à une marche dans la nuit. Mais il faut savoir, comme l’a formulé Edmond Fleg dans un vers célèbre : Que la nuit la plus noire est une aube qui vient. Une des prescriptions instituées par la Thora dans cette paracha est le Pessa’h Cheni, le deuxième Pessa’h, que nous trouvons indiqué dans les premiers verset du chapitre 9. Selon notre texte, cette prescription est révélée au début de la seconde année de la sortie d’Égypte. Dans le livre de l’Exode, nous avions été avertis que le premier Pessa’h — rite de l’événement du « Passage » lui-même — devait être commémoré d’année en année, de génération en génération. Or, dans la cohérence biblique, le fait qu’un événement historique fondateur doive être commémoré, indique qu’il s’agit d’un point de départ, plus que d’un point d’aboutissement ; un effort dont le commencement est irréversible comme dans toute mutation, mais qui doit être réactualisé, repris à chaque reprise du temps, jusqu’à l’aboutissement ultime. D’une certaine manière, par la prescription même de la commémoration, nous sommes avertis que l’événement de Pessa’h est comme un commencement inachevé, et dont toute l’histoire postérieure d’Israël, jusqu’à l’avènement messianique, devra poursuivre l’achèvement. Et ces deux caractères du Pessa’h d’Égypte sont, ensemble, absolument vrais : mutation irréversible, et commencement inachevé. C’est pourquoi, en particulier en préface aux Dix Commandements, D-ieu se dénomme Lui-même : « Celui qui vous a fait sortir d’Égypte » et ainsi, a pour objet l’achèvement, la complétude de ce commencement de libération des aliénations totales dont l’Égypte des Pharaons était le symbole. Qu’un événement complètement réalisé et intégré n’ait plus à être commémoré, nous pouvons en trouver un exemple dans le fait que la Thora n’institue en aucune manière la commémoration de la sortie d’Abraham d’Our Kasdim. Il s’agit là pourtant de l’événement fondateur, par excellence, de ce qui sera l’histoire d’Israël. C’est, d’une part, que cet événement — la sortie de la famille d’Abraham de l’aliénation de la civilisation de Babel — est définitif et, en cela, il n’a plus à être commémoré, par le fait même qu’il est totalement réalisé. Mais c’est aussi, d’autre part,qu’il s’agissait, avec Abraham, de l’aventure personnelle d’un homme, et la Tradition biblique n’a jamais attaché à l’histoire d’un homme le principe d’une commémoration qui, en cela, deviendrait mythique, comme cela sera effectivement le cas plus tard pour l’hérésie chrétienne. La sortie d’Égypte, elle, concerne une collectivité tout entière, et c’est précisément pourquoi notre texte rappelle que quiconque ne participe pas à la commémoration de Pessah s’exclut par là-même de la collectivité : « Une telle personne serait retranchée de son peuple », comme l’indique en particulier le verset 13 du chapitre 9 de notre texte. Or, c’est bien à cause de la gravité de cette éventualité que la Thora institue la prescription du Pessa’h Cheni, du deuxième Pessa’h. Il peut arriver que l’on soit empêché de participer à cette commémoration — qui constitue, à chaque reprise du temps, la réidentification de la collectivité d’Israël — non par mauvaise volonté qui est toujours une volonté de s’exclure de la collectivité, mais par empêchement réel, selon les prescriptions bibliques : état d’impureté ou éloignement trop grand du Temple de Jérusalem. Si cet empêchement, entraîné par les péripéties de la vie, est effectivement un cas de force majeure, la Thora prévoit qu’un mois après la date de Pessa’h, cette identification par la commémoration pourra être faite. De cette institution du Pessa’h Cheni, une grande leçon se dégage : le retour à l’essentiel est toujours possible tant que l’obstacle, le retard au retour, n’a pas atteint la volonté elle-même.

 
BAMIDBAR / Parachat BEHAÂLOTKHA

par Rav Arié LEVY 'Chalita'
Auteur du livre de commentaires
« LE CHANT DE LA VIE »
Maguid Chiôur au Collel francophone
DARKEI AHARON



N°193


Nous assistons au chapitre 10 verset 29 à une conversation entre Moché et son beau-père, ‘Hovav, qui n’est autre que Yitro : « nous partons pour la contrée dont l’Eternel a dit : c’est celle-là que je vous donne. Viens avec nous, nous te ferons du bien, car l’Eternel a promis des bienfaits à Israël » Moché dépeint, en termes convaincants, la sollicitude de D’ à l’égard de son peuple et les promesses qu’Il lui a faites, et il ajoute, à la suite du refus de Yitro : « Or, si tu nous accompagnes, ce même bienfait dont l’Eternel nous fera jouir, nous t’en ferons jouir » Sur quels critères Moché s’est-il basé pour promettre à Yitro un bienfait qui consistait en une part du territoire de la Terre d’Israël ? Nous ne trouvons nulle part de dialogue à ce sujet entre Moché et D’ .

Deux peuples se virent refuser la possibilité d’adhérer au Judaïsme, ce sont Ammon et Moav, et la Torah l’explique ainsi (Dévarim 23.5) : « parce qu’ils ne vous ont pas offert le pain et l’eau à votre passage, au sortir de l’Egypte ». En quoi étaient-ils obligés de le faire, au point que leur défaillance à ce devoir humanitaire leur refuse à jamais de s’intégrer au peuple d’Israël par la conversion ? (*) Prenons pour exemple l’Egypte, qui pendant deux siècles a asservi notre peuple et l’a abaissé au rang d’esclaves, l’interdiction de les recevoir dans la Communauté d’Israël se limite à trois générations de convertis seulement. Pourquoi donc Ammon et Moav en sont-ils totalement exclus ?

Nous avons vu (parachat Vayéra) la lutte qu’Avraham engagea dans son dialogue avec D’ pour sauver son neveu Loth de la destruction de Sodome. De Loth naquirent deux fils, Ammon et Moav, qui devaient leur vie à Avraham, père du peuple auquel ils auraient dû, par reconnaissance, assurer le minimum vital de pain et d’eau. De plus, ils ne s’en tinrent pas là, et ils louèrent les services de Bileâm afin qu’il maudisse le peuple élu par D’, auquel ils devaient leur existence.

Nous rencontrons ici une mitsva qu’il nous arrive certainement d’avoir à accomplir souvent et que la Torah vient nous enseigner ici : c’est la gratitude. Lorsque le prophète Yéchaâyahou (Isaïe) réprimanda le peuple, il le fit en ces termes : « un bœuf connaît son possesseur, un âne la crèche de son maître : Israël ne connaît rien, Mon peuple n’a pas de discernement » : si le bœuf et l’âne, d’un niveau inférieur à l’homme dans l’ordre de la Création, savent reconnaître à qui ils doivent leur subsistance, à plus forte raison l’homme qui se situe au sommet des êtres créés, se doit-il d’être capable de reconnaissance à l’égard de celui auquel il doit un bienfait. Celui qui n’en est pas capable ne peut pas faire partie d’un peuple dont tout le service repose sur la gratitude à l’égard de Celui auquel il est redevable d’avoir une âme et qui lui insuffle la vie ! Telle est la raison pour laquelle ces deux peuples ne peuvent pas être accueillis dans la Communauté d’Israël.

Nous pourrons mieux comprendre, à l’appui de ce que nous venons de développer, la conduite de Moché Rabbénou à l’égard de Yitro, qu’il invite à se joindre au peuple juif pour son entrée en Terre d’Israël, et auquel il promet un territoire :

YITRO, qui se rendit auprès de son gendre pour connaître de plus près les grandioses évènements après la libération miraculeuse d’Israël du joug égyptien, assistera au défilé continu devant le Maître, qui pour demander un conseil, qui pour se faire expliquer une halakha, qui pour recevoir une bénédiction. Imaginons la tâche colossale que cela devait représenter, d’accorder à six cent mille hommes attention et dévouement ! Yitro exposera alors l’idée, pour résoudre ce problème et soulager Moché d’une charge surhumaine, « de nommer des chefs de mille, des chefs de cent, des chefs de cinquante et des chefs de dix » . Une pyramide de quatre catégories sera établie, chacune plus qualifiée que l’autre, qui sélectionnera les hommes les plus instruits et les plus intègres de la nation. On choisissait d’abord un homme parmi chaque groupe de mille (soit au total six cents), ensuite un homme parmi chaque groupe de cent (six mille), puis un homme parmi chaque groupe de cinquante (soit douze mille) et finalement, un homme pour chaque groupe de dix (soixante mille), ce qui représentait le nombre de soixante dix huit mille six cents juges, soit une moyenne d’un juge pour sept à huit hommes.

Moché savait que sa proposition ne pouvait qu’avoir l’approbation divine ; lui-même et le peuple entier devaient à Yitro l’organisation de la justice, qui continuera à avoir cours plus tard, quand la juridiction prendra une forme définitive.

Sa conduite, qui était l’expression d’une conscience intègre à l’égard de n’importe quel être humain, devenait ainsi un exemple pour tout le peuple. Déjà, lors des dix plaies qui s’abattirent sur l’Egypte, Moché ne put se résoudre à frapper le Nil pour le changer en sang et il en chargea son frère Aharon, exprimant ainsi sa reconnaissance au fleuve qui l’avait hébergé lorsque Miryam y avait placé son berceau jusqu’à ce que la fille de Pharaon l’en sorte pour l’adopter.

Nos Sages nous ont enseigné : « ne jette pas de pierre dans le puits qui t’a désaltéré ». Ils auraient pu tout simplement nous dire d’exprimer notre gratitude à l’égard de ceux qui nous procurent un bienfait. Mais s’ils nous donnent l’exemple du puits et des pierres, c’est pour nous enseigner que la gratitude doit s’exprimer même à l’égard de la matière inanimée qui n’est dotée d’aucun sentiment, et à plus forte raison devons-nous être vigilants dans l’exercice de cette mitsva quand il s’agit de notre prochain.

La mitsva du ‘héssèd, qui consiste à assister toute personne qui nécessite de l’aide, quelquefois par quelques paroles ou un sourire, a la vertu de rapprocher et d’unir, parce qu’en donnant, on engage une partie de soi-même et on se rapproche de l’objet de notre don, qu’il s’agisse d’un enfant, d’un animal, d’une plante, voire même d’un objet inanimé comme une maison qu’on a construite. L’homme est attaché à ses propres œuvres par des liens d’amour car il se retrouve en elles.

Ainsi, lorsque ‘héssèd et gratitude viennent se compléter et que l’un sert de support à l’autre, se réalise le verset : « Le monde est bâti sur le ‘héssèd »

(*) la guémara Yébamot 76b explique : seuls les hommes d’Ammon et de Moav ne sont pas admis à contracter une union dans la nation. La Torah nous donne la raison de cette interdiction : en n’offrant pas aux juifs épuisés nourriture et boisson, ils ont failli au plus élémentaire des respects humains. Nos Sages remarquent que s’il est normal pour les hommes d’aller au-devant de voyageurs dans le désert, une telle conduite ne sied pas aux femmes. C’est pourquoi les femmes issues de ces peuples sont accueillies comme converties dans la nation juive (Livre de Ruth/Artscroll)