livre bemidbar

paracha: chela'h

 
 
Parachat Chela’h Lekha
Rav Yehouda Léon Askénazi



Parachat Chela’h Lekha * Rav Yehouda Léon Askénazi * Texte inédit, daté de 5740 communiqué par la Fondation Manitou. C’est dans cette paracha que se trouve relaté un des épisodes les plus importants et dramatiques des quarante ans de la marche au désert : celui précisément qui sera cause de la disparition de la première génération du peuple sorti d’Égypte. Cet épisode est connu sous le nom de parachat meraglim ¬— < l’affaire des explorateurs >. Sur les instances de la majorité du peuple, comme il est indiqué au premier chapitre du Deutéronome, Moïse envoie un commando d’exploration de la Terre promise à Israël. Leur rapport de mission comporte deux points essentiels : 1) la Terre est bien telle qu’elle nous avait été décrite dans les promesses; 2) mais, les difficultés et les obstacles seront tels qu’il est préférable d’y renoncer et de retourner vers l’Égypte, ce qui est indiqué expressément au verset 4 du chapitre 14 : Donnons-nous un chef, et retournons en Égypte.
Ce récit est suffisamment connu pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir en détail. Cependant, certains éléments sont particulièrement importants à signaler. Ces < explorateurs >, comme les nomme le texte, n’étaient pas n’importe quels < spécialistes >, prêts, a priori, à changer d’opinion suivant les fluctuations idéologiques ou les intérêts du moment. Ils étaient censés être les représentants légitimes des tribus d’Israël : Tous des personnalités importantes à la tête des enfants d’Israël. Et Rachi, dans un commentaire plein de finesse et d’humour, signale : Et à ce moment [lorsqu’ils furent désignés par Moïse], ils étaient cachers [aptes à être choisis]. Et cependant, presque tous s’opposeront à la réalisation du projet de l’histoire d’Israël, telle que la Bible la raconte en ce temps-là, et telle qu’elle sera perpétuellement à reprendre jusqu’à sa réalisation ultime. Tous, sauf deux seulement, deux sur douze, représentant un cinquième environ de l’ensemble du peuple : Josué, représentant la tribu d’Ephraïm, tribu principale de la descendance de Joseph, et Caleb, représentant la tribu de Juda. Eux seuls, à la génération suivante, entreront au pays de la promesse. Et l’on doit remarquer qu’au moment le plus important, où Israël doit lui-même décider de son destin, les < grands d’Israël > — suivant l’expression consacrée — risquent de succomber à la tentation du découragement et de l’auto-destruction, et s’opposent à Moïse, porteur du projet de cette histoire dans toutes ses dimensions, à la fois religieuse, nationale, morale, spirituelle et politique. L’histoire continue avec Josué, descendant de Joseph, et avec Caleb, descendant de Juda. Or, ce découragement, qui mena réellement à l’auto-destruction de toute cette génération, ne nous est pas décrit simplement comme un fléchissement du courage physique devant des difficultés purement pratiques, matérielles ou techniques comme l’on dirait aujourd’hui. Le Talmud, en interprétant une des expressions employées dans le rapport des explorateurs, nous montre qu’il s’agissait d’un découragement moral, d’un fléchissement de l’espérance, d’une perte de la foi, cette même foi qui leur avait donné le courage de la sortie d’Égypte elle-même. En effet, le verset 31 du chapitre 13 leur prête la formule suivante : Nous ne pouvons pas surmonter ce peuple, car il est plus fort que nous. Or, le Talmud fait remarquer que le mot ???? peut signifier miménou < que nous > ou miménhou < que Lui > L’intention secrète était-elle de dire : < plus fort que D-ieu Lui-même, qui serait incapable d’accomplir Ses promesses > ? Pour comprendre l’étonnant découragement qui saisit le plus grand nombre à cette occasion, on ne peut donc que rappeler l’expression de tous les prophètes : ????? ????? — cheerit Israël, < le reste d’Israël > qui indique que la promesse concerne en fin de compte le < reste > fidèle d’Israël, le reste, c’est-à-dire les rescapés de la foi. Et la foi ne peut être qu’entière, quelle que soit l’apparence de son impossibilité, comme en témoigne la survie même d’Israël.
Note : 1. Car il est plus fort que nous — On enseigne : Rabbi ‘Hanina Bar Papa dit: C’est une chose énorme que les explorateurs ont proférée à ce moment : " Car il est plus fort que nous. "Ne lis pas miménou mais miménhou. Si l’on peut dire, le propriétaire lui-même ne peut sortir ses biens de là-bas." (Talmud Babli, Sota 35a)

 
BAMIDBAR / Parachat CHELA’H LEKHA

par Rav Arié LEVY 'Chalita'
Auteur du livre de commentaires
« LE CHANT DE LA VIE »

Maguid Chiôur au Collel francophone
DARKEI AHARON


 




La paracha suit immédiatement l’épisode relatant les paroles prononcées par Miryam à l’encontre de son frère Moché ; la colère divine éclata, et le châtiment qui s’ensuivit fut que Miryam se trouva couverte d’une lèpre ; D’ accéda à la prière de Moché de la guérir, à condition qu’elle soit recluse sept jours hors du camp. Nous avons vu la semaine dernière la grandeur et l’importance de savoir reconnaître un bienfait. Cette notion se concrétise ici, où nous voyons que le peuple, constitué par quelques millions de personnes, et qui était sur le point de poursuivre son parcours, attendit sept jours que Miryam fût guérie, et la raison en est qu’elle-même avait attendu de voir ce qu’il adviendrait de son frère Moché lorsque, quatre vingt ans plus tôt, il avait été déposé dans un panier d’osier sur les eaux du Nil. Ainsi, malgré la gravité d’avoir médit sur le chef incontesté choisi par D’, elle obtint le privilège d’être attendue pour réintégrer le camp.

Le peuple eut connaissance de tous ces faits, et la logique voudrait qu’il en ait tiré l’enseignement qui s’impose, à savoir de ne pas faire de lachone harâ, mais tel ne fut pas toujours le cas. Il est intéressant d’approfondir un peu le sujet se rapportant à l’usage de la parole et au privilège de l’homme d’en avoir été doté.

 La guémara pose la question suivante : est-ce qu’une parole prononcée peut être effacée ou non, et la suite de la discussion nous enseigne que la parole a une influence qui laisse des traces, alors que nous avons tendance à ne pas beaucoup réfléchir aux conséquences des paroles que nous prononçons.

Il y a une différence fondamentale qui se dégage entre les réflexions des sages d’Israël et celles des philosophes sur le sujet qui concerne la supériorité du genre humain ; plus particulièrement, la question posée est : la supériorité du genre humain réside-t-elle dans le fait que l’homme est un être pensant, ou dans le fait qu’il est un être parlant ?

* Les philosophes préconisent que c’est précisément parce que l’homme est doté d’intelligence, qu’il diffère des éléments de la création et qu’il les domine.

* Les sages d’Israël considèrent que la suprématie de l’homme sur la bête ne repose pas sur le seul fait qu’il pense, mais qu’il parle ; l’intention de nos sages est de nous enseigner que si la faculté de penser est très importante car sans elle l’homme est amoindri, la parole, qui permet à la pensée de s’exprimer et d’agir, est plus importante.

Dans la vie de tous les jours, nous constatons à quel point la parole peut avoir de l’influence en société, et qu’il ne suffit pas seulement de réfléchir et de penser ; pour convaincre l’autre d’un point de vue, il est nécessaire de concrétiser sa pensée en discutant. Nous avons vu que la génération du déluge avait réussi à unir toutes les nations dans le but de construire une gigantesque tour, symbole de leur orgueil. Et D’, sans guerres ni bombes, érigea des barrières infranchissables en brouillant leur langage ; chacun des constructeurs se mit à parler une langue différente et lorsqu’un ouvrier demandait un marteau, son compagnon lui remettait une brique ; le premier pensait que l’autre se moquait de lui et dans sa colère, il l’assommait avec cette même brique, et ainsi, ceux-là mêmes qui avaient réussi à convaincre les peuples de former une coalition néfaste grâce au pouvoir de la parole, se virent dispersés aux quatre coins de la terre et leurs projets vaniteux s’anéantir.

Nous avons le privilège d’avoir reçu la possibilité d’utiliser la langue la plus ancienne, qui compte les vingt deux lettres avec lesquelles le monde fut créé et la Torah de vie nous fut donnée ; nous devons l’utiliser à bon escient et savoir que la parole et en particulier la téfila peuvent être comparées au graveur sur bois ; si notre requête n’a pas été exaucée immédiatement, cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas atteint son but et qu’elle s’est évaporée dans l’air ; elle est gravée et elle reste en attente de l’heure propice où elle intègrera sa place.

Le rav Chabtaï Youdélévits z.l disait que si nous savions implorer Hachem avec la même conviction que l’enfant supplie en pleurant celui qui lui a pris sa voiture de la lui rendre, nous serions immédiatement exaucés. Mais il faut pour cela remplir la condition de préserver notre langue de toute parole superflue et mensongère. Alors, nous donnons à notre parole un pouvoir énorme.

On a demandé un jour à Rabbi Israël ABI’HSSERA - Baba Sali - pourquoi ses bénédictions avaient une telle influence et il répondit simplement : je veille à ne jamais proférer un mensonge ni à médire sur qui que ce soit, c’est pourquoi ma demande est exaucée, car tout comme D’ a ordonné au feu de brûler et à l’eau d’humidifier, Il a établi que la langue de l’homme doit avoir une bonne influence, si elle agit pour le bien et qu’elle garde sa pureté originelle en se préservant de toute parole négative ou mensongère.

Nous devons nous souvenir également que donner la tsédaqa est bien, et ainsi que l’ont dit nos sages, celui qui donne de l’argent à celui qui nécessite de l’aide est béni de six bénédictions, et celui qui le nourrit de bonnes paroles est béni de onze bénédictions ; cela veut dire qu’il est quelquefois plus important d’accompagner celui qui s’adresse à nous de paroles bienveillantes qui viendront mettre un baume à la dépression morale causée par sa situation.