livre bemidbar

paracha: bemidbar

   
PARACHA BAMIDBAR
Rav Yehouda Léon Askénazi


Parachat Bamidbar * Rav Yehouda Léon Askénazi * Texte inédit, daté de 5742, communiqué par la Fondation Manitou.


Bamidbar, « Au désert ». C’est le nom donné par la Tradition hébraïque au quatrième livre du Pentateuque et, par là même, à la première paracha du livre. Comme on le sait déjà, la règle est en effet de nommer chaque paracha par le premier terme significatif du texte. Ici : Et D-ieu parla à Moïse au désert du Sinaï. Mais là encore, le mot choisi par la Tradition n’est pas seulement un titre conventionnel, il désigne le contenu profond de l’ensemble du texte : le « Passage au désert », entre le monde ancien de l’exil et l’entrée au Pays d’Israël où l’histoire du Peuple libéré commencera à proprement parler. Entre le monde ancien et le monde qui vient, le Désert. Midbar, lieu de la Parole, Davar, entendue par Moïse et dite à Israël : Midbar, le désert ; Davar, la Parole. Et effectivement, nous aurons à lire à travers toutes les parachot du livre, l’accompagnement de la Parole de la Thora pour chacune des péripéties de la longue marche au désert — longue suite de mises à l’épreuve que traversera la génération d’Israël, et où se forge le difficile apprentissage de la liberté pour un peuple hier encore aliéné à l’accoutumance de son ancienne condition d’exilé. Or, voici que le texte s’ouvre par le récit d’un dénombrement. Minutieusement, la Thora établit le recensement de chaque tribu, famille par famille, en en comptant le nombre, en en citant les noms. Cela ne sera pas le seul dénombrement que nous trouverons dans ce récit. Mais le fait que le récit de la marche au désert débute par un tel dénombrement, aussi circonstancié et minutieux, n’a pas manqué de frapper la tradition du Midrach et voici, en particulier, ce que dit le commentaire de Rachi : C’est de par son amour pour eux que D-ieu les dénombre à chaque occasion. Dès qu’ils furent sortis de l’Égypte, Il les dénombra. Lorsqu’ils tombèrent à la faute du Veau d’or, Il les dénombra encore pour connaître le nombre des rescapés. Et lorsqu’Il vint faire résider Sa présence sur eux, Il les dénombre à nouveau, cal zahar legulgalotam,« chacun pour lui-même », indique le texte. Le principe de cet enseignement est évident. Il consiste à établir la valeur absolue de chaque personne, individuellement. L’Être d’Israël, à qui D-ieu s’adresse dans l’histoire que raconte la Bible, et qui est le modèle absolu de notre existence historique dans le temps du monde, est celui de la collectivité d’Israël. Cependant cette collectivité n’est jamais désignée par un terme récapitulatif qui serait monstrueusement impersonnel. La Bible ne dit jamais
« l’Israël », par exemple, comme dans les langues contemporaines l’on dit « la France » ou « l’Allemagne » ou « l’Angleterre », pour désigner la nation dont on veut parler. Elle dit très exactement, comme nous le trouvons dès le deuxième verset de notre texte, cal edat Bnei Israël, « toute l’assemblée des Enfants d’Israël ». C’est l’homme qui est nommé, dans son identité concrète, et non l’entité abstraite, théorique, générique, impersonnelle en fait, au nom de laquelle précisément toutes les aliénations redeviendraient possibles. C’était de cette aliénation totale, qui avait condamné la civilisation de l’Égypte, qu’Israël avait été libéré. Et c’est pourquoi le principe d’une collectivité entendue comme impersonnelle restera absolument blasphématoire pour la conscience hébraïque. Plus encore, c’est bien parce que la conscience hébraïque y est rebelle comme par nature et depuis le temps des Pères, qu’elle a pu traverser le temps des civilisations qui se savent mortelles. Le D-ieu qui parla à Abraham, le D-ieu qui parle à Moïse est Quelqu’un et c’est d’ailleurs pourquoi Sa Révélation est Parole : Sa Parole nomme celui à qui Il s’adresse et instaure la personne de « chaque un », en valeur absolue. Ainsi le temps de la marche au désert, le temps de l’apprentissage à la Parole, fut pour Israël le temps des dénombrements des personnes, legoulgolotam, « chaque un » pour lui-même, qemispar chemot, « selon le nombre des noms », dit très précisément le texte. L’on entend bien le paradoxe enfermé par cette expression typiquement hébraïque, mispar chemot, « le nombre des noms ». En effet, le nombre est par nature impersonnel, d’où la consigne donnée par notre texte. La nécessité du dénombrement — quelle qu’en soit la raison — doit, précisément, instaurer la primauté du nom propre à chacun, car « chaque un » est génialement, et de façon absolument irremplaçable la créature à qui le Créateur s’adresse nommément. D’où le caractère périlleux du rassemblement. Car pour constituer l’assemblée, chacun, précisément, doit justifier l’adéquation au nom qu’il porte. Ainsi, le dénombrement est, pour chaque personne, une interpellation, un jugement. Aussi, tout le livre de Bamidbar, « Au désert », nous apparaîtra comme le récit d’une longue mise à l’épreuve où le D-ieu d’Israël, comme un père pour ses enfants, à chaque péripétie de la vie, cherche à lire dans le nom de chacun, l’accomplissement du projet d’identité qu’Il a voulu pour eux, Israël. C’était là ce que disait le commentaire de Rachi : C’est de par Son amou
r pour eux, que D-ieu les dénombre à chaque occasion.

בס"ד
BAMIDBAR / Parachat BAMIDBAR

par Rav Arié LEVY 'Chalita'
Auteur du livre de commentaires
« LE CHANT DE LA VIE »
Maguid Chiôur au Collel francophone
DARKEI AHARON
N°191



Nous commençons cette semaine la lecture et l’étude du quatrième Livre de la Torah, BAMIDBAR (dans le désert), qui va nous faire revivre les quarante années de pérégrinations de nos ancêtres délivrés d’Egypte, sous la direction de Moché Rabbénou qui va mener son peuple jusqu’à la frontière du pays, où il investira son disciple Yéhochouâ de la mission de les conduire à l’intérieur de la Terre Promise par D’.

C’est dans le désert que les béné Israël vont se préparer à former la nation dont la mission sera d’être un peuple témoin, fidèle à D’ en toute occasion pour acquérir la Terre d’Israël ; chacun devait connaître le rôle qu’il avait à assumer dans l’ensemble de la communauté, chacun sous sa bannière, chaque tribu ayant ses aptitudes particulières. La paracha décrit l’ordre de recensement effectué par les princes des tribus ainsi que l’ordre pour les campements et pour la marche, qui grouperont les douze tribus en quatre sections de trois tribus chacune, disposées selon les quatre directions du vent autour du Sanctuaire, la tribu des Lévi assurant au centre du campement la garde du Sanctuaire. Ainsi fut établi l’ordre de marche pour aller de l’avant. Ceci vient nous enseigner que la condition pour notre peuple d’avancer et de construire est que tous les camps qui le composent soient unis vers un même but.

Nous avons vu que Yaâqov, avant sa mort, et grâce à son esprit prophétique, a examiné chacun de ses fils en fonction de ses mérites et de ses défauts. Ainsi par exemple, Zévouloun, qui était doué pour les affaires, fera du commerce international grâce à ses navires, il s’enrichira et il subviendra aux besoins d’Issakhar qui, lui, se consacrera aux études sacrées, portera le joug de la Torah en acceptant la charge d’en fixer les décisions. Et ainsi, pour chacun de ses fils, Yaâqov prodiguera sa bénédiction en assignant à chacun d’eux, selon ses aptitudes particulières, son rôle dans le concert des douze tribus.

Nos Maîtres nous enseignent que la Torah a été donnée à Israël par l’eau, le feu, et le désert. Or l’eau et le feu sont deux éléments qui s’opposent totalement. Ceci vient nous enseigner que nous vivons dans un monde de contradictions, et en l’homme lui-même s’opposent l’humilité et l’orgueil, la tristesse et la joie, la pitié et la cruauté, ce qui l’oblige à effectuer un travail constant sur lui-même pour établir un juste équilibre de ces forces. Dans notre vie privée, nous savons que nous devons maîtriser la colère, les déceptions et tous les désirs de notre volonté qui ne peuvent se réaliser. C’est pourquoi, au jour le plus heureux de la vie qu’est celui du mariage, nos sages nous ont commandé de briser un verre en prononçant : « si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie »; pourquoi pas quelques jours après la ‘Houppa et pourquoi au summum même du bonheur devons-nous nous souvenir de la destruction du Temple ? C’est pour nous enseigner que dans la vie de tous les jours peuvent se succéder des moments heureux et des moments tristes, mais que nous devons toujours revenir à cet instant de la ‘Houppa, où immédiatement après le souvenir de la destruction, éclatent la joie, la musique et les danses (du moins en Israël où la ‘Houppa est dressée dans la salle de fêtes)

Cet enseignement trouve sa réalisation dans notre vie aujourd’hui, afin que nous puissions sourire à nos enfants et construire malgré les évènements au quotidien qui peuvent survenir dans notre quartier, dans le pays ou dans le monde. Si nous n’avions pas en nous la possibilité de passer d’un état à son contraire, nous pourrions sombrer dans une infinie mélancolie. A l’image de la Torah donnée par l’eau et par le feu, celui qui a la chance de vivre selon ses lois, apprend à faire le tri entre l’essentiel et le superflu, le positif et le négatif, le bon et le mauvais, dans toutes les circonstances de la vie.

Pourquoi la Torah a-t-elle été donnée par l’eau ? La référence en est donnée dans le Livre d’Isaïe chap.55 « vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ».

Le rav Mordékhaï ELIYAHOU explique cela de cette façon : si nous observons ce qui nous entoure, nous arriverons à la conclusion que l’eau est l’élément fondamental de l’Univers ; même le bois dont sont faits nos meubles provient d’arbres qui n’auraient pu subsister sans eau, la préparation du béton pour la construction d’un immeuble nécessite de l’eau, la vie de l’homme est assurée par son sang, dont le plasma (55% du sang) est constitué de 90% d’eau. Si nous ne pensons pas forcément à tout cela, c’est parce que l’eau est soustraite à notre vue. De même, nous avons tendance à considérer tout ce qui se passe dans le monde sous un angle rationnel et purement matériel. Nous ignorons, ou nous refusons de voir qu’en réalité, le monde repose sur l’étude de la Torah, ainsi qu’il est écrit : « si mon alliance ne subsistait jour et nuit, les lois du ciel et de la terre n’existeraient point ». Dans sa grande miséricorde, D’ a créé l’Univers de sorte que lorsqu’il fait nuit dans une partie du globe, il fait jour dans une autre partie, ainsi des juifs s’entretiennent de Torah sans interruption, assurant ainsi le maintien des forces vitales de la Nature. Si nous n’y prêtons pas attention, c’est parce que, comme l’eau, la Torah agit mais reste soustraite à notre vue, de sorte qu’il subsiste toujours le choix d’attribuer à chaque événement une cause rationnelle.

Le Créateur a donné à l’homme la possibilité de rechercher la vérité, à condition de le vouloir vraiment, sans quoi ses questions et ses doutes subsistent. C’est ainsi que le rav ‘Haïm de Brisk répondit un jour à quelqu’un qui voulait lui exposer ses doutes sur sa émouna : est-ce que tu as commencé à douter de ta croyance en D’ avant que tu cesses de mettre tes téfiline, ou après ? Il lui répondit : après. Le rav lui dit : lorsque tu te remettras à accomplir cette mitsva, reviens et je répondrai à toutes tes questions. Le rav avait compris qu’il cherchait à justifier le moyen de se dérober à l’accomplissement des mitsvot.

Beaucoup de personnes posent la question : faut-il croire en le âïn harâ (le mauvais œil) et comment s’en protéger ? Nous y pensons lorsque nous comptons nos biens, nos enfants et tout ce qui est important à nos yeux. Or nous voyons ici qu’Hachem demande à Moché de faire un dénombrement nominal des enfants d’Israël ; est-ce donc qu’il n’y a aucun risque à compter ce qui nous appartient ?

J’ai posé la question à un tsadiq qui est l’un des 36 Justes sur lesquels repose le monde : comment dois-je me conduire lorsque je me rends avec toute ma famille quelque part ? Dois-je craindre les regards posés sur un grand nombre d’enfants ?

Il me répondit ceci : le âïn harâ existe mais il ne peut avoir de prise que sur ce qui nous appartient. C’est pourquoi il convient de nous auto-éduquer à considérer que tout ce que nous avons, enfants, argent, biens, constituent un gage qui nous a été confié afin que nous en assurions la garde, et qu’il appartient au Créateur du monde. Sur ce qui Lui appartient, le âïn harâ n’a pas de prise. Mais cette ségoula ne doit pas être occasionnelle, nous devons la considérer comme une vérité incontestable : nous ne possédons rien en ce monde et tout ce que nous pensons posséder nous est accordé comme un prêt qui doit nous permettre de l’utiliser à répandre le bien autour de nous. Il n’y a pas de doute que celui qui pense vraiment ainsi est heureux parce que s’il venait à essuyer des pertes, elles l’accableront moins que si elles touchaient ce qu’il considère comme lui appartenant exclusivement.

Pour atteindre ce niveau, il faut avoir été éduqué dans cet état d’esprit, et il est bien sûr difficile de l’acquérir. Mais c’est possible, et sinon, efforçons-nous de transmettre cette vertu à nos enfants.

Nous sommes les enfants d’Hachem et nous lui sommes très chers, c’est pourquoi il nous compte et du fait que nous lui appartenons, le mauvais œil n’a aucune prise sur ce qui Lui appartient.