N°184
Une déracha est habituellement donnée le Chabbat qui précède la fête de
Pessa’h, appelé CHABBAT haGUADOL, c’est-à-dire Chabbat prochain. Cette
année, du fait que la téfila de Cha’harit du Chabbat haGuadol aura lieu
de très bonne heure afin de consommer pour la dernière fois du ‘hamèts,
cette déracha est devancée et sera donnée ce Chabbat dans toutes les
synagogues. C’est pourquoi ce Chabbat est appelé Déracha Chabbat
haGuadol.
Le Chabbat qui précède la fête de Pessah est appelé « le Grand CHABBAT »
en raison des grands bienfaits dont D’ nous a comblés en nous délivrant
du joug égyptien. Le décret annonçant à Avraham que ses descendants
vivraient en qualité d’étrangers dans un pays qui ne serait pas le leur,
portait sur quatre cents ans ; pourtant, ils n’y séjournèrent réellement
que deux cent dix ans ; pourquoi ? J’ai entendu l’explication suivante
au nom du Ben Ich ‘Haï : le décret divin ne concernait qu’un
asservissement physique, mais la cruauté des égyptiens s’appliqua à
briser également leur vigueur morale et spirituelle. C’est pourquoi D’
tint compte du surplus de souffrance qui n’était pas prévu, et modifia
le jugement initial.
Nous disons dans la Haggada : « nous y entonnerons un nouveau cantique
au sujet de notre délivrance et de l’affranchissement de notre âme ». Il
y eût donc deux délivrances, l’une physique, l’autre spirituelle. Nous
pouvons le comprendre à travers les recommandations de David à son fils
Salomon, auquel il demanda de se comporter avec clémence à l’égard d’un
tel, et à propos de Ehoud ben Ghéra il dit : il mérite la mort, aussi
agis à son égard selon ta sagesse. Après la mort du roi David, Salomon
convoqua ben Ghéra et lui commanda de ne pas quitter Jérusalem. Comment
comprendre ce décret, lorsque nous considérons qu’il constituerait pour
d’autres un rêve de n’avoir pas à quitter la Ville Sainte leur vie
durant ? Il en est ainsi, que l’homme, dès l’instant où on lui interdit
de se mouvoir en dehors d’un secteur précis, fût-il son propre château,
considère celui-ci comme une prison. C’est dans cette perspective que
nous expliquons le principe : « celui qui accomplit un commandement
parce qu’il en a le devoir est plus louable que celui qui l’accomplit de
son propre gré ». Prenons l’exemple de deux adolescents, l’un âgé de
plus de treize ans, l’autre âgé de douze. Tous deux pratiquent la mitsva
des téfiline ; on serait enclin à louer le plus jeune, qui bien que non
encore tenu de le faire, s’y efforce pourtant de son plein gré. Nos
Sages nous enseignent dans Tossefot que le bar-mitsva, parce qu’il est
tenu d’accomplir ce commandement, a à lutter contre le penchant négatif
qui ne se lasse jamais d’essayer de détourner l’homme des mitsvot, ce
qui n’est pas le cas du second, qui n’a encore aucune obligation, et
donc, l’action du premier a plus de mérite.
Nous rencontrons chaque jour chez nos enfants cette contradiction qui
consiste à vouloir faire précisément ce que nous leur interdisons. Il se
peut fort bien que l’enfant arrive de lui-même à éviter de récidiver,
mais dès l’instant où un parent va interdire une telle action, son
intérêt s’éveillera et le poussera dans un premier mouvement à une
volonté contraire. Je cite souvent l’exemple de mon rav à la yéchiva,
dont le fils était mon ami ; un jour, le rav me demanda de transmettre
un conseil à son fils. Devant mon étonnement, il m’expliqua : je sais
que mon fils est un garçon réfléchi, qui acceptera un conseil s’il lui
vient de son meilleur ami. Cependant, étant donné qu’il est tenu à la
mitsva de « honore ton père », l’obligation d’obéir et l’intervention du
penchant négatif qui est en nous, risquent de perturber le bon
fonctionnement de sa faculté de réflexion.
Ainsi que nous l’avons dit, les béné Israël étaient doublement asservis en
Egypte ; or, l’asservissement mental est beaucoup plus pénible que
l’asservissement physique car il anéantit la volonté et la joie. Ils
étaient arrivés à un état de dépendance physique et intellectuelle
totale, semblables au fœtus dont la nourriture est la même que celle de
sa mère. Les égyptiens de l’époque adoraient entre autres divinités le
Nil, parce qu’il ne tombait pas de pluie en Egypte, et que le Nil
débordait et arrosait le pays. L’orgueil de Pharaon le portait à se
faire adorer en tant que divinité du fleuve dont il avait déclaré (Ezechiel
29/3) : « mon fleuve est à moi, c’est moi qui me le suis fait ! » A la
sortie d’Egypte, l’âme des béné Israël était encore sous le joug de ses
oppresseurs, malgré la libération miraculeuse et tous les prodiges
auxquels ils avaient assisté ; d’où l’apprenons-nous ? du Cantique de la
mer, où leur libération mentale ne s’est exprimée par le chant qu’après
le passage de la mer, lorsqu’ils virent leurs persécuteurs, qui avaient
annihilé leur croyance pendant dix générations, disparaître sous les
flots.
Comment expliquer la notion de liberté que nous ressentons à l’approche
de Pessa’h, lorsque chaque jour apporte son lot de nouvelles
affligeantes ?
On raconte que le rav Abramski, qui avait été déporté en Sibérie, se
préparait à prononcer un matin à son réveil « modé ani…je Te rends grâce
de m’avoir rendu mon âme » lorsque le découragement l’envahit. En quoi,
se dit-il, dois-je me réjouir de cela devant la terrible journée qui
m’attend ? Mais il se ressaisit aussitôt en pensant au mot « émounatékha
» et il se dit : s’il est vrai qu’on a pris ma liberté (physique), ma
foi ne peut m’être ôtée, et cela mérite de rendre grâce à D’ .
Nous allons essayer de comprendre l’importance de la matsa à Pessa’h,
outre le fait qu’elle perpétue la hâte de la sortie d’Egypte et le
souvenir de la libération. Le pain constitue un aliment dont nous ne
nous lassons jamais, ce qui n’est pas le cas d’autres aliments dont
l’usage exagéré peut nous amener à nous en dégoûter. Il représente la
subsistance essentielle qui peut à elle seule nous maintenir en vie,
tout comme le lait maternel pour le nourrisson. La matsa, constituée
uniquement de farine et d’eau, sans l’ajout d’aucun autre élément,
symbolise le lien entre l’homme et son créateur.
L’acquisition de la connaissance du Emèt comporte trois stades :
1/ La ‘hokhma, qui consiste en la certitude de l’existence de D’
Créateur de l’Univers
2/ La bina, qui est la compréhension des choses à travers la
connaissance du Emet
3/ Le daât, par lequel ces deux notions s’incrustent en nous afin de
nous en servir en toutes circonstances
En regard de ces trois notions se trouvent les trois matsot du Sédère de
Pessa’h.
* Selon le sens ésotérique (sod), la matsa du dessus correspond à la
‘hokhma ; c’est la matsa sur laquelle nous disons la bénédiction «
hamotsi », par laquelle nous reconnaissons l’existence de D’ , notion
qui marque le lien mutuel qui nous unit.
* La matsa du milieu correspond à la bina ; c’est la matsa sur
laquelle nous prononçons la formule « âl hakhilat matsa » ; par là nous
marquons le lien entre la compréhension des choses et leur impact sur
notre âme.
* La matsa du dessous correspond au « daât » qui confirme
l’attachement et l’union (selon l’expression de la Torah dans Béréchit :
et l’homme avait connu Eve, sa femme…), autrement dit de ne pas se
contenter de savoir et de comprendre, mais d’amener cette connaissance
au cœur, siège des sentiments, afin que l’âme s’en imprègne. C’est avec
cette matsa que nous accomplissons la mitsva de « korèkh » le mot
signifiant lui-même « relier » deux éléments.
Ces raisons nous aident à mieux comprendre pourquoi la Torah appelle
Pessa’h « hag hamatsot ». Les égyptiens avaient pour but de
briser la vigueur physique et spirituelle du peuple juif, autrement dit
de rompre le lien qui unissait la ‘hokhma et la bina dont le siège est
le cerveau, au daât dont le siège est le cœur ; par l’importance que
nous accordons à la mitsva des trois matsot du sédère, la possibilité
nous est donnée de relier ces trois éléments qui sont nécessaires à la
construction de l’âme juive, qui était asservie à un peuple et à des
croyances étrangères, et ce, par la connaissance du Emèt.
Toutes les halakhot relatives à la veille de PESSA’H qui tombe un
Chabbat figurent dans le livre de commentaires du
Rav Arié LEVY « LE CHANT DE LA VIE »
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