livre bemidbar

paracha: NASSO

   
   

PARACHAT NASSO
Rav Yehouda Léon Askénazi



Parachat Nasso * Rav Yehouda Léon Askénazi *
Texte inédit, daté de 5733, communiqué par la Fondation Manitou. La paracha de Nasso est une paracha très dense, dans laquelle on peut considérer trois parties. En premier lieu, la fin du récit du dénombrement des familles de la tribu de Levi en relation avec leurs fonctions spécifiques dans le transport et l’édification du Tabernacle, lors des étapes de la marche au désert et de l’organisation du camp des tribus d’Israël. Puis, une seconde partie qui s’achève à la fin du chapitre 6 par la bénédiction des Cohanim, et qui traite des différentes situations qui peuvent exiger la mise à l’écart provisoire de cette organisation du camp pour telles catégories de personnes, ainsi que des dispositions à prendre pour mettre fin à cette indisponibilité. Cette inaptitude provisoire à participer au regroupement du peuple autour de son Sanctuaire peut avoir été expressément voulue ou, au contraire, imposée par les circonstances. Mais l’on est frappé par le fait que la Thora cherche essentiellement à établir les règles de la réintégration définitive, quelles qu’en étaient les circonstances. Une fois de plus, dans cette partie de la paracha — sans doute la plus importante, apparaît la structure fondamentale des lois de la Thora : celles qui régissent les rapports entre l’homme et D-ieu, puis entre l’homme et autrui, puis entre l’homme et soi-même. Et c’est ce qui apparaît clairement dans les cas limites qui nous sont présentés. Sur le premier point — la relation de l’homme à D-ieu, notre texte traite de l’incapacité provisoire à acquitter la sanction d’une faute où la responsabilité a été établie par serment devant D-ieu. Pour le second point — celui des rapports de l’homme à autrui —, le cas qui nous est donné en exemple est celui des soupçons de jalousie d’un mari pour sa femme, soupçons justifiés ou injustifiés, mais qui atteignent la relation fondamentale de l’homme à son prochain. Et sur le troisième point, il s’agit du cas de l’homme ou de la femme qui s’astreint, par vœux d’ascétisme, à une mise à l’écart de la normalité. Dans ces trois éventualités, où se trouve rompue l’harmonie des consciences, le Cohen a un rôle déterminant dans la réintégration de cette harmonie et la restitution de l’intégrité de la conscience. Et c’est pourquoi, ce texte, à la fin du chapitre 6, s’achève par la bénédiction des Cohanim ; en trois versets — chacun correspondant à l’un des trois ordres de rapports qui font le tout de l’homme, le Cohen appelle la bénédiction de la paix : paix entre l’homme et D-ieu, entre l’homme et son prochain, entre l’homme et lui-même. Alors seulement, et c’est la troisième partie de notre paracha, le texte raconte la cérémonie de consécration du Tabernacle, par l’offrande des douze chefs des tribus. Offrande identique que la Thora rappelle, pour chacun, dans tous ses détails, comme pour indiquer que seule une égalité réelle des différentes manières d’être homme peut garantir le projet d’unité qui fait l’essentiel de l’histoire qu’elle nous raconte, en parlant d’Israël. C’est à propos de cette paracha que le Midrach rappelle l’importance de la vertu d’humilité. L’expression employée pour dire la tâche particulière de la famille des Lévites, qui devait transporter l’Arche où se trouvaient les Tables de la Loi, est en effet inhabituelle : laasot malakha, « accomplir », au lieu de laasot avoda, « agir ». C’est que, dit le Midrach, ceux qui portaient l’Arche, dans la marche du désert, étaient en réalité portés par elle. L’effort qui leur était demandé portait sur l’intégrité de leur être, sur la disponibilité de leur âme. Mais leur tâche, à proprement parler, n’était rendue possible que par le mérite de la collectivité dont ils étaient les délégués. Cela est indiqué par le nom même de la paracha de Nasso. Pour dire « dénombrer », « assigner à chacun la tâche qui lui est propre », le texte a employé un terme qui signifie, en réalité, « élever ». Au niveau d’une telle élévation, et c’est ce quindique cette fois, la fin de la paracha, l’égalité est enfin réelle et définitive : elle est celle de la Paix.

 
BAMIDBAR / Parachat NASSO

par Rav Arié LEVY 'Chalita'
Auteur du livre de commentaires
« LE CHANT DE LA VIE »

Maguid Chiôur au Collel francophone
DARKEI AHARON

 

N°192


Au verset 11 de la paracha, la Torah traite du cas de la femme soupçonnée d’infidélité, à laquelle était appliquée la procédure des eaux amères. Le Cohen écrivait sur un parchemin, avec une encre effaçable, le texte du serment qu’elle venait de faire et la malédiction, et il écrivait en écriture pleine le nom d’Hachem de quatre lettres qui apparaissait par deux fois dans le texte, et le Saint Nom était effacé dans les eaux amères. Il est interdit d’effacer le nom d’Hachem. Si le cas dont parle la Torah fait exception, c’est afin de démontrer combien il est important de dissiper le doute et de rétablir la paix entre les époux, et Hachem considère que pour cette cause, il vaut même la peine d’effacer son Grand Nom.

Le Midrach rapporte que Rabbi Méïr avait coutume de donner une déracha le vendredi soir ; il arriva que sa déracha dura plus longtemps qu’à l’ordinaire, et une femme qui venait l’écouter régulièrement vit en rentrant chez elle que toutes les lumières s’étaient éteintes. Son mari lui demanda avec colère : où es-tu donc allée si longtemps ? Je suis allée écouter Rabbi Méïr lui répondit-elle. Tu ne rentreras pas lui dit-il, avant d’avoir craché au visage du Rabbi.

 Eliyahou haNavi se dévoila à Rabbi Méïr et lui dit : une femme a été renvoyée de chez elle à cause de toi et il lui conta le fait. La pauvre femme revint au Beit haKénesset et elle s’assit en silence ; Rabbi Méïr lui demanda : sauras-tu guérir mes yeux par la ségoula qui consiste à cracher dans l’œil ? Prise de panique, elle répondit : non. Mais il vint à son secours : crache sept fois dans cet œil lui ordonna-t-il, et j’irai mieux. C’est ce qu’elle fit. Tu peux rentrer chez toi lui dit-il, et tu pourras dire à ton mari que tu as craché au visage de Rabbi Méïr, pas seulement une fois mais sept ! Les élèves du Maître, indignés, lui dirent : Rabbi, comment as-tu pu permettre que l’on t’humilie d’une manière qui n’est pas en accord avec l’honneur dû à un Talmid ‘Hakham ? Si tu avais dit un seul mot, nous aurions châtié cet homme et nous l’aurions contraint à traiter sa femme avec décence. Il répondit : l’honneur de Méïr n’est pas plus grand que celui de son Créateur et s’Il a permis que son Saint Nom soit effacé dans l’eau afin de rétablir la paix entre un mari et sa femme, à fortiori dois-je renoncer à ma dignité pour cette cause !

Quel enseignement doit-on retenir de la conduite de Rabbi Méïr ? En fait, il n’a pas répondu à la proposition de ses élèves, à savoir qu’il était possible effectivement de ramener le mari de cette femme à de meilleures dispositions à son égard par d’autres moyens, mais il leur a présenté le « à fortiori » comme moyen d’action, et ceci vient nous enseigner que rétablir le Chalom entre les époux est si important, qu’on peut adopter l’attitude extrême de Rabbi Méïr, quand bien même il peut y avoir d’autres moyens pour y parvenir.

Le Midrach Rabba sur Vayiqra verset 9 et sur Dévarim verset 15 rapporte cette anecdote à propos du verset (Psaume 34 v.15) « recherche la paix (Rachi : là où tu vis) et poursuis-la (Rachi : ailleurs aussi) » Nous devons comprendre pourquoi il faut non seulement rechercher la paix autour de soi mais aussi la poursuivre ailleurs.

Nous sommes témoins de manifestations de sympathie à l’égard de nos voisins arabes de Gaza et de Rafiah, de la part d’une partie de nos frères juifs qui n’hésitent pas à se poster aux barrages de l’armée, manifestant et perturbant les actions de Tsahal, ou bouchant les accès aux résidents juifs des localités du Gouch Qatif sous prétexte d’occupation illégale, qui serait d’après eux la cause de cette guerre. Peut-être répondent-ils à l’appel de nos sages ?

Je me suis rendu cette semaine à Nétsarim (près de Rafiah) accompagné de secouristes et de cinq résidents francophones de la communauté de Modi-în afin de manifester notre sympathie aux soldats de la base. Nous avons préparé un barbecue géant auquel se sont joints avec joie ces grands enfants exténués qui côtoient la mort à chaque seconde. Le moment s’y prêtant, plusieurs d’entre eux, boucle à l’oreille et ignorants de toute pratique du judaïsme, nous ont raconté une série de « miracles » dont ils ont été l’objet au cours de leurs interventions au cœur même des nids de terroristes, et ils nous ont demandé de leur dicter quelque chose qui exprime leur reconnaissance. Assez émus je l’avoue, nous avons tous ensemble prononcé la bénédiction du Gomel.

A notre sortie de la base, nous avons rencontré près du barrage de l’armée ces autres frères juifs dont j’ai parlé plus haut, munis de pancartes « halte à l’occupation » et autres expressions qui m’ont fait frissonner rien qu’à les lire. Je n’ai pu m’empêcher de stationner pour leur poser la question : comment pouvez-vous vous exprimer ainsi, et affaiblir le courage de nos soldats ? Trois d’entre eux m’ont donné la réponse suivante : le premier : écoute, lorsque mon fils Roï est né voici douze ans, j’espérais qu’il n’aurait pas un jour à faire l’armée, et voilà que le moment approche où il devra s’engager. Le second : écoute, voici quatre ans l’économie s’épanouissait et tout allait bien ; depuis trois ans je suis sans travail à cause de cette guerre et je ne vois aucun espoir se dessiner à l’horizon. Le troisième : regarde à quel point le monde nous en veut ; j’avais l’habitude de voyager deux fois par an à l’étranger pour mes vacances, et à présent, je n’ose plus m’y rendre à cause de l’antisémitisme causé par cette guerre.

Je me suis demandé si leur « idéologie » pouvait répondre à une recherche à tout prix du Chalom. C’est vrai, un père peut trembler à l’idée que son fils serve dans l’armée en temps de guerre, c’est vrai aussi qu’il est difficile d’assurer la subsistance de sa famille sans un salaire ; les vacances par contre nécessitent-elles de se rendre à l’étranger ? J’ai simplement noté que toutes ces bonnes raisons de rechercher la paix n’étaient en fait dictées que par des intérêts personnels.

Nous avons vu qu’aussi bien le Saint, béni soit-Il, que Rabbi Méïr à son exemple, étaient prêts à « effacer » honneur du Nom, dignité et intérêt personnel pour rétablir la paix au sein du couple. Autrement dit, le Chalom doit être recherché pour lui-même et non à travers l’amour de soi. Au paragraphe 5 de Mikha nous lisons : « homme, on t’a dit ce qui est bien, ce que le Seigneur demande de toi, pratique la justice, aime la bonté et marche humblement avec ton D’ » Il n’est pas question ici de « pratiquer » la bonté, mais « d’aimer » le ‘héssèd (la bonté), c’est-à-dire d’être prêt à un don total de soi qu’aucune préoccupation personnelle n’entrave. C’est exactement ce qui définit ceux qui dans le monde n’hésitent pas à faire des appels de tsédaka pour des tas de causes : pour des familles en difficulté, pour des institutions de Torah, pour l’armée, pour des associations de secours, ou qui organisent chez eux des gma’him de toutes sortes : médicaments, vêtements, vaisselle, produits alimentaires, lits de bébé… Rechercher le Chalom et le poursuivre signifie rapprocher et unir et c’est exactement le but du ‘héssèd.

Pour en revenir aux manifestants pour la paix à tout prix, mes amis qui m’accompagnaient m’ont demandé pourquoi je m’étais donné la peine de discuter avec eux et comment j’avais pu garder calme et sérénité. Je leur ai raconté qu’à l’âge de quinze ans, j’avais quitté l’établissement scolaire où j’étudiais matières profanes et Torah pour entrer dans une yéchiva. A mon premier retour à la maison pour le Chabbat après trois semaines d’absence, j’ai donné mon premier dvar Torah à la table familiale, et les mots, dis avec l’enthousiasme et le désir de faire savoir au monde entier que j’avais découvert la source de la vérité, ont dû sonner plutôt comme des réprimandes que comme des paroles de sagesse.

Mon grand-père, Rabbi Fradji ‘Haï Gaston GUEZ z.l. qui passait le Chabbat avec nous me prit de côté Motsaé Chabbat et me dit ceci : j’ai remarqué avec plaisir que tu gardes le contact avec tes anciens camarades de classe bien que tu aies pris la voie de l’étude exclusive de la Torah, continue ainsi et ne t’enorgueillis jamais à l’égard de ceux qui se conduisent autrement que selon ses lois ; tu pourras les aider à se rapprocher des mitsvot et le cœur d’un juif est toujours prêt à écouter, à condition d’une part que tes paroles soient toujours dirigées vers le but à atteindre et non dans celui de libérer tes propres instincts ; d’autre part, que tes paroles soient dites avec douceur et sérénité. Je lui ai demandé si le fait de parler avec la fougue que je ressentais alors n’aurait pas plus de poids. Il m’a répondu avec un petit sourire : hausser le ton prouve simplement que tu ne crois pas suffisamment en la force de persuasion de ton message, mais le dire avec sérénité prouve que tu es toi-même convaincu de ce que tu avances. Son enseignement m’accompagne à ce jour, parce que lui-même l’illustrait parfaitement. Marchant humblement avec D’, il ne s’est jamais enorgueilli de ses connaissances dans tous les domaines de la Torah, et il n’enseignait une halakha que si on le lui demandait, avec la même simplicité qu’il mettait au service du ‘héssèd et de l’amour d’autrui.

Alors que je terminai mon récit, l’un des trois manifestants se dirigea vers moi et m’avoua qu’il n’avait jamais réfléchi du point de vue que je lui avais présenté ; je lui dis alors que j’en parlerai dans le dvar Torah qui sera diffusé cette semaine, et il me demanda de bien vouloir le lui faxer. Ce que j’ai fait, en hébreu bien sûr.