N°192
Au verset 11 de la paracha, la Torah traite du cas de la femme
soupçonnée d’infidélité, à laquelle était appliquée la procédure des
eaux amères. Le Cohen écrivait sur un parchemin, avec une encre
effaçable, le texte du serment qu’elle venait de faire et la
malédiction, et il écrivait en écriture pleine le nom d’Hachem de quatre
lettres qui apparaissait par deux fois dans le texte, et le Saint Nom
était effacé dans les eaux amères. Il est interdit d’effacer le nom d’Hachem.
Si le cas dont parle la Torah fait exception, c’est afin de démontrer
combien il est important de dissiper le doute et de rétablir la paix
entre les époux, et Hachem considère que pour cette cause, il vaut même
la peine d’effacer son Grand Nom.
Le Midrach rapporte que Rabbi Méïr avait coutume de donner une déracha
le vendredi soir ; il arriva que sa déracha dura plus longtemps qu’à
l’ordinaire, et une femme qui venait l’écouter régulièrement vit en
rentrant chez elle que toutes les lumières s’étaient éteintes. Son mari
lui demanda avec colère : où es-tu donc allée si longtemps ? Je suis
allée écouter Rabbi Méïr lui répondit-elle. Tu ne rentreras pas lui
dit-il, avant d’avoir craché au visage du Rabbi.
Eliyahou haNavi se dévoila à Rabbi Méïr et lui dit : une femme a été
renvoyée de chez elle à cause de toi et il lui conta le fait. La pauvre
femme revint au Beit haKénesset et elle s’assit en silence ; Rabbi Méïr
lui demanda : sauras-tu guérir mes yeux par la ségoula qui consiste à
cracher dans l’œil ? Prise de panique, elle répondit : non. Mais il vint
à son secours : crache sept fois dans cet œil lui ordonna-t-il, et
j’irai mieux. C’est ce qu’elle fit. Tu peux rentrer chez toi lui dit-il,
et tu pourras dire à ton mari que tu as craché au visage de Rabbi Méïr,
pas seulement une fois mais sept ! Les élèves du Maître, indignés, lui
dirent : Rabbi, comment as-tu pu permettre que l’on t’humilie d’une
manière qui n’est pas en accord avec l’honneur dû à un Talmid ‘Hakham ?
Si tu avais dit un seul mot, nous aurions châtié cet homme et nous
l’aurions contraint à traiter sa femme avec décence. Il répondit :
l’honneur de Méïr n’est pas plus grand que celui de son Créateur et s’Il
a permis que son Saint Nom soit effacé dans l’eau afin de rétablir la
paix entre un mari et sa femme, à fortiori dois-je renoncer à ma dignité
pour cette cause !
Quel enseignement doit-on retenir de la conduite de Rabbi Méïr ? En
fait, il n’a pas répondu à la proposition de ses élèves, à savoir qu’il
était possible effectivement de ramener le mari de cette femme à de
meilleures dispositions à son égard par d’autres moyens, mais il leur a
présenté le « à fortiori » comme moyen d’action, et ceci vient nous
enseigner que rétablir le Chalom entre les époux est si important, qu’on
peut adopter l’attitude extrême de Rabbi Méïr, quand bien même il peut y
avoir d’autres moyens pour y parvenir.
Le Midrach Rabba sur Vayiqra verset 9 et sur Dévarim verset 15 rapporte
cette anecdote à propos du verset (Psaume 34 v.15) « recherche la paix
(Rachi : là où tu vis) et poursuis-la (Rachi : ailleurs aussi) » Nous
devons comprendre pourquoi il faut non seulement rechercher la paix
autour de soi mais aussi la poursuivre ailleurs.
Nous sommes témoins de manifestations de sympathie à l’égard de nos
voisins arabes de Gaza et de Rafiah, de la part d’une partie de nos
frères juifs qui n’hésitent pas à se poster aux barrages de l’armée,
manifestant et perturbant les actions de Tsahal, ou bouchant les accès
aux résidents juifs des localités du Gouch Qatif sous prétexte
d’occupation illégale, qui serait d’après eux la cause de cette guerre.
Peut-être répondent-ils à l’appel de nos sages ?
Je me suis rendu cette semaine à Nétsarim (près de Rafiah) accompagné de
secouristes et de cinq résidents francophones de la communauté de
Modi-în afin de manifester notre sympathie aux soldats de la base. Nous
avons préparé un barbecue géant auquel se sont joints avec joie ces
grands enfants exténués qui côtoient la mort à chaque seconde. Le moment
s’y prêtant, plusieurs d’entre eux, boucle à l’oreille et ignorants de
toute pratique du judaïsme, nous ont raconté une série de « miracles »
dont ils ont été l’objet au cours de leurs interventions au cœur même
des nids de terroristes, et ils nous ont demandé de leur dicter quelque
chose qui exprime leur reconnaissance. Assez émus je l’avoue, nous avons
tous ensemble prononcé la bénédiction du Gomel.
A notre sortie de la base, nous avons rencontré près du barrage de
l’armée ces autres frères juifs dont j’ai parlé plus haut, munis de
pancartes « halte à l’occupation » et autres expressions qui m’ont fait
frissonner rien qu’à les lire. Je n’ai pu m’empêcher de stationner pour
leur poser la question : comment pouvez-vous vous exprimer ainsi, et
affaiblir le courage de nos soldats ? Trois d’entre eux m’ont donné la
réponse suivante : le premier : écoute, lorsque mon fils Roï est né
voici douze ans, j’espérais qu’il n’aurait pas un jour à faire l’armée,
et voilà que le moment approche où il devra s’engager. Le second :
écoute, voici quatre ans l’économie s’épanouissait et tout allait bien ;
depuis trois ans je suis sans travail à cause de cette guerre et je ne
vois aucun espoir se dessiner à l’horizon. Le troisième : regarde à quel
point le monde nous en veut ; j’avais l’habitude de voyager deux fois
par an à l’étranger pour mes vacances, et à présent, je n’ose plus m’y
rendre à cause de l’antisémitisme causé par cette guerre.
Je me suis demandé si leur « idéologie » pouvait répondre à une
recherche à tout prix du Chalom. C’est vrai, un père peut trembler à
l’idée que son fils serve dans l’armée en temps de guerre, c’est vrai
aussi qu’il est difficile d’assurer la subsistance de sa famille sans un
salaire ; les vacances par contre nécessitent-elles de se rendre à
l’étranger ? J’ai simplement noté que toutes ces bonnes raisons de
rechercher la paix n’étaient en fait dictées que par des intérêts
personnels.
Nous avons vu qu’aussi bien le Saint, béni soit-Il, que Rabbi Méïr à son
exemple, étaient prêts à « effacer » honneur du Nom, dignité et intérêt
personnel pour rétablir la paix au sein du couple. Autrement dit, le
Chalom doit être recherché pour lui-même et non à travers l’amour de
soi. Au paragraphe 5 de Mikha nous lisons : « homme, on t’a dit ce qui
est bien, ce que le Seigneur demande de toi, pratique la justice, aime
la bonté et marche humblement avec ton D’ » Il n’est pas question ici de
« pratiquer » la bonté, mais « d’aimer » le ‘héssèd (la bonté),
c’est-à-dire d’être prêt à un don total de soi qu’aucune préoccupation
personnelle n’entrave. C’est exactement ce qui définit ceux qui dans le
monde n’hésitent pas à faire des appels de tsédaka pour des tas de
causes : pour des familles en difficulté, pour des institutions de
Torah, pour l’armée, pour des associations de secours, ou qui organisent
chez eux des gma’him de toutes sortes : médicaments, vêtements,
vaisselle, produits alimentaires, lits de bébé… Rechercher le Chalom et
le poursuivre signifie rapprocher et unir et c’est exactement le but du
‘héssèd.
Pour en revenir aux manifestants pour la paix à tout prix, mes amis qui
m’accompagnaient m’ont demandé pourquoi je m’étais donné la peine de
discuter avec eux et comment j’avais pu garder calme et sérénité. Je
leur ai raconté qu’à l’âge de quinze ans, j’avais quitté l’établissement
scolaire où j’étudiais matières profanes et Torah pour entrer dans une
yéchiva. A mon premier retour à la maison pour le Chabbat après trois
semaines d’absence, j’ai donné mon premier dvar Torah à la table
familiale, et les mots, dis avec l’enthousiasme et le désir de faire
savoir au monde entier que j’avais découvert la source de la vérité, ont
dû sonner plutôt comme des réprimandes que comme des paroles de sagesse.
Mon grand-père, Rabbi Fradji ‘Haï Gaston GUEZ z.l. qui passait le
Chabbat avec nous me prit de côté Motsaé Chabbat et me dit ceci : j’ai
remarqué avec plaisir que tu gardes le contact avec tes anciens
camarades de classe bien que tu aies pris la voie de l’étude exclusive
de la Torah, continue ainsi et ne t’enorgueillis jamais à l’égard de
ceux qui se conduisent autrement que selon ses lois ; tu pourras les
aider à se rapprocher des mitsvot et le cœur d’un juif est toujours prêt
à écouter, à condition d’une part que tes paroles soient toujours
dirigées vers le but à atteindre et non dans celui de libérer tes
propres instincts ; d’autre part, que tes paroles soient dites avec
douceur et sérénité. Je lui ai demandé si le fait de parler avec la
fougue que je ressentais alors n’aurait pas plus de poids. Il m’a
répondu avec un petit sourire : hausser le ton prouve simplement que tu
ne crois pas suffisamment en la force de persuasion de ton message, mais
le dire avec sérénité prouve que tu es toi-même convaincu de ce que tu
avances. Son enseignement m’accompagne à ce jour, parce que lui-même
l’illustrait parfaitement. Marchant humblement avec D’, il ne s’est
jamais enorgueilli de ses connaissances dans tous les domaines de la
Torah, et il n’enseignait une halakha que si on le lui demandait, avec
la même simplicité qu’il mettait au service du ‘héssèd et de l’amour
d’autrui.
Alors que je terminai mon récit, l’un des trois manifestants se dirigea
vers moi et m’avoua qu’il n’avait jamais réfléchi du point de vue que je
lui avais présenté ; je lui dis alors que j’en parlerai dans le dvar
Torah qui sera diffusé cette semaine, et il me demanda de bien vouloir
le lui faxer. Ce que j’ai fait, en hébreu bien sûr.
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