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MON PERE

Portrait d’un juif oranais

La soixantaine alerte, plutôt petit, les membres courts, des attaches fines, un embonpoint qui avait raison des boutonnières rebelles du gilet, une tête ronde, des yeux, selon les circonstances, malicieux, inquisiteurs ou réprobateurs, des oreilles démesurément grandes mais au dessin délicat, un nez camus, des lèvres fines souvent pincées, signe de scepticisme ou de fermeté face à l’adversité.
Une peau lisse, sans rides, des pommettes roses. Un visage d’enfant candide mais des colères violentes allumaient dans le regard des feux inquiétants.
Le corps toujours pris dans un impeccable et strict complet trois pièces; la démarche bien que pesante, avait quelque chose de digne, d’imposant.
Né au village, il avait conservé de sa ruralité, le goût du travail bien fait, de la ponctualité, de l’économie, de la bonne chère et le sens aigu de la générosité.
La sénilité n’avait pas eu de prise sur lui. Toujours très actif, ses journées étaient bien remplies: il se levait tôt, et se couchait tard. Il lui en fallait de la constance pour, bien avant le chant du coq, toute une vie durant, se rendre au port relever les taxes sur les poissons. Service pour lequel lui était versée une chiche indemnité qui venait conforter un non moins chiche salaire de fonctionnaire colonial.

Il trouvait toujours, au milieu de ses mille et une activités, un moment pour vivre religieusement ses petits rituels, le coiffeur par exemple. Il ne manquait jamais de lui rendre visite régulièrement bien que pratiquement chauve!

D’un premier mariage, il eut trois enfants. Il apparut très vite que sa conjointe manifestait pour les tâches ingrates d’épouse et de mère un enthousiasme très mesuré. Inapte à l’apostolat d’une vie d’intérieur, elle afficha un vif engouement pour les activités plus ludiques du dehors et l’union tourna court.

Il éleva alors seul ses enfants dont il ne se serait pas séparé même pour un empire. Seul, pas exactement: une soeur et sa fille se dévouèrent pour que rien ne manque dans le foyer déchiré.

Un jour, une autre femme survint, une jeune femme, qui lui donna quatre enfants. Ce second mariage contracté dans l’âge mûr l’épanouit complètement dans sa vie d’homme. Il avait à ses côtés la compagne idéale: douce, discrète, bonne cuisinière.

Méditerranéen, il était le pater familias exerçant sur les siens une tyrannie affectueuse.

Si les garçons connurent très tôt une relative liberté de gestes et de paroles, les filles, elles, eurent toutes les peines du monde à se libérer du joug paternel. Cet homme perpétuait toute une génération et un système éducatif rigide où chacun, dans la hiérarchie tant sociale que familiale, devait rester à sa place.

Si, dans un tel contexte, quelques inhibitions ou frustrations étaient inévitables, un consensus fait de la médiation patiente de son épouse, de pieux mensonges et de coupables non-dits de tous réduisait les sources de conflits.

Le chabbat et les fêtes étaient les temps forts de la vie familiale  Une étiquette immuable faite, d’une part, d’interdits puisés dans les saintes écritures, d’oukases paternels tenant plus à une interprétation personnelle qu’à une stricte observance de la loi, d’autre part de fonctions précises une fois pour toutes dévolues à chacun, ne souffrait aucune dérogation. .

Le bonheur était à son comble lorsque la famille était réunie au complet. Il ne prisait rien davantage que les jeux bruyants de sa nombreuse progéniture et l’activité savante des cordons bleus s’affairant dans la cuisine.

La fébrilité des préparatifs festifs prenait fin avec le départ du doyen pour le temple. Coiffé d’un cérémonieux chapeau melon vissé sur la tête qu’il troquait selon les circonstances pour une kipa ou un bonnet de nuit, le cou boudiné prisonnier d’un col blanc amidonné, le pli du pantalon tracé par des mains expertes tombant droit sur des souliers vernis, et drapé dans une véritable dignité sacerdotale, il s’éloignait d’un pas de sénateur, le dos un peu plus voûté, avec l’air important que confère à un ministre plénipotentiaire la charge d’une sacro-sainte mission

Aux premiers signes annonciateurs du retour du patriarche, la phratrie se pressait pour l’accueillir. Son visage rayonnait de la sérénité communicative que procure le devoir bien rempli. Tous attendaient sa bénédiction: certains, l’absolution de fautes passées ou à venir, d’autres, non les moins nombreux, plus portés vers les nourritures terrestres que spirituelles, se réjouissaient à l’idée de passer à table...
Après les actions de grâces, chantées dans le rite judéo-espagnol, le moment arrivait enfin d’honorer les plats traditionnels savamment élaborés. Le plaisir devenait véritablement sensuel. Il se révélait alors un fin gourmet et un animateur hors-pair, conteur intarissable pour les plus jeunes, érudit pour les autres.

 

SON GENDRE P.AM.

Le grand rabbin David Achkenazi

l'interieur de la grande synagogue d'Oran.