N°181
« L’Eternel parla à Moché en ces termes : « Ordonne à Aharon et à ses
fils en disant : ceci est la loi de l’holocauste. C’est l’holocauste qui
se consume sur le brasier de l’autel toute la nuit jusqu’au matin »
Rachi explique : le terme « ordonne » signifie une injonction pour
l’immédiat et « en disant », pour toutes les générations, et Rabbi
Chimône dit : l’Ecriture doit enjoindre particulièrement là où il y a
perte d’un profit.
Sur les sacrifices offerts en expiation, le Cohen y avait une part qui
constituait sa subsistance. Le sacrifice dont il s’agit ici était
destiné à expier les fautes commises en pensée, et le Cohen devait le
laisser se consumer jusqu’à ce qu’il n’en reste aucune partie qui soit
consommable.
Le rav Eliyahou LOPIAN pose la question suivante : il est ici question
du Grand Cohen Aharon, premier de la lignée des Cohanim qui servaient au
Temple, au sujet duquel la Torah témoigne qu’il fut trouvé sans reproche
et que les Toumim et Ourim lui furent confiés (le pectoral qui lui
permettait de communiquer avec D’), et de ses fils Nadav et Avihou que
Moché qualifiait de « proches du Saint, Béni Soit-Il ». Nous ne pouvons
même pas imaginer leur degré de sainteté, et encore moins comprendre que
la perte d’un profit puisse susciter un doute sur l’intégrité de leur
Service.
La même question se pose à propos de la paracha A’haré Mot, après la
mort des deux fils d’Aharon, où Hachem dit à Moché « parle à Aharon
ton frère, qu’il n’entre pas à toute heure dans le sanctuaire…afin qu’il
ne meure pas » comme ses deux fils, et Rachi rapporte le commentaire
de Rabbi Elâzar ben Âzaria : cela ressemble à un patient qui consulte un
premier médecin qui lui dit : ne consomme surtout pas d’aliments froids
; il en consulte un second qui lui dit : ne consomme surtout pas
d’aliments froids car tu pourrais en mourir. Il est certain que la
prescription du second médecin aura beaucoup plus d’influence sur lui
que celle du premier. C’est ainsi que nous devons comprendre cette
injonction d’Hachem à l’égard d’Aharon. Il n’en reste pas moins que
notre étonnement subsiste : pourquoi était-il nécessaire de s’adresser
ainsi à un homme tel qu’Aharon jugé digne de porter le pectoral ?
Quand on étudie le texte de certaines sections de la Torah, on peut se
demander pourquoi il abonde de détails, apparemment superflus, ou
pourquoi certaines phrases se répètent dans une même paracha ; disons
tout de suite qu’aucune lettre, aucun détail et aucune répétition ne
sont de trop ; qui mieux que le Créateur qui nous a formés connaît nos
faiblesses et sait exactement de quelle façon Il doit s’adresser à nous
? Nous avons tendance à penser que plus un homme est élevé
spirituellement, moins il est dominé par le mauvais penchant. Mais nos
sages nous enseignent qu’au contraire, chez cet homme le mauvais
penchant est à la mesure de sa grandeur et qu’il lui faudra donc
déployer plus d’efforts pour le vaincre.
A la lumière de ces précisions, nous pourrons mieux comprendre le verset
11 du chapitre 21 de Dévarim où la Torah permet à un guerrier de l‘armée
d’Israël qui s’éprend d’une femme de belle apparence de l’épouser, après
avoir rempli toutes les conditions requises par la Loi écrite et par la
la Loi orale. Et Rachi précise : « Si l’Eternel ne fait pas une
concession au mauvais penchant et ne la lui permet pas, il l’épousera
malgré l’interdiction. » Pourquoi ? Parce que la force d’attraction de
l’objet défendu peut être très violente et que la force de caractère
seule ne suffit pas à déjouer le mauvais penchant. Ici également notre
étonnement grandit lorsque nous savons de quels personnages était
constituée l’armée d’Israël.
On faisait savoir aux recrues que celui qui « craignait et avait peur »
pouvait rentrer chez lui et la guémara (traité Sota 44) précise : qui
craignait parce qu’il avait fauté. De quelle faute s’agissait-il ? La
guémara répond : même lorsqu’il ne s’agissait que d’avoir parlé entre
la mise des téfiline de la tête et ceux du bras. Autrement dit, une
légère défaillance dans leur service divin ne fut-ce qu’une fois les
exemptait de combattre pour l’Eternel. C’étaient donc des Justes
parfaits ; pourtant des hommes d’une telle stature n’étaient pas à
l’abri de la tentation et c’est leur cas que la Torah légifère (voir
parachat Ki Tetsé). Ce n’est pas en vain que Hillel disait (Pirké Avot
ch.2 v.5) : « ne réponds pas de ta vertu avant le jour de ta mort ».
Le Lèv Eliyahou rapporte l’histoire d’un homme qui pratiquait la
Torah avec beaucoup de rigueur. Sa grande faiblesse était son attirance
excessive pour l’argent. Alors qu’il se trouvait à quelques minutes de
sa mort, il fit signe à ceux qui l’entouraient de s’approcher. Sachez,
leur dit-il, que je vais quitter ce monde, mais si l’un d’entre vous me
tendait à l’instant une somme d’argent, je serai encore capable d’y
mettre mes dernières forces pour la saisir et la cacher sous mon
oreiller tant ce penchant est plus fort chez moi que la mort ; pourquoi
vous dis-je tout cela ? Afin que vous en tiriez l’enseignement qui
convient pour combattre ce penchant dont je n’ai pu me défaire toute ma
vie.
Nous ne pouvons plus considérer aujourd’hui l’écart entre les
générations dans la même proportion qu’on le faisait il y a encore
quelques décennies. Nous avons l’impression que trois générations se
succèdent dans l’intervalle qui était concevable entre deux générations.
Tout se succède à une allure vertigineuse, aussi bien les évènements
dans le monde que les conséquences de l’effondrement des barrières
morales, et ceci nous amène à nous demander comment le Messie peut
arriver dans une génération comme la nôtre alors que celle de nos
parents paraissait plus méritante.
J’ai eu la chance de côtoyer le grand Gaon que fut le rav Avraham
Bardaqué zatsal ; à la question qu’il posait : comment se peut-il que
Machia’h se dévoile dans une génération comme la nôtre, lorsque l’on
considère que des générations comme celles des Tanaïm où la majorité du
peuple pratiquait les mitsvot, n’ont pas eu ce mérite, il répondait :
c’est précisément dans une génération exposée comme la nôtre au danger
d’assimilation, à l’influence de la presse, de la télévision et de la
mode, où il se trouve tant de juifs qui luttent à chaque heure de leur
journée pour ne pas succomber à toutes sortes de tentations, où d’autres
reviennent à la pratique du judaïsme et où le monde de la Torah dévasté
par la Choâ se reconstruit et s’épanouit dans le monde de façon
remarquable, c’est justement à une telle génération que revient le
mérite de la délivrance !
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